Nous avons tous un smartphone, ou au moins un téléphone mobile fonctionnant avec la norme GSM dite 2G, socle de la 3G, 4G et 5G. Sans ce système, votre smartphone ne pourrait plus émettre et recevoir d’appels, et ne pourrait plus envoyer/recevoir de data ; il ne pourrait fonctionner que sous couverture Wifi, et ne serait donc plus qu’un simple ordinateur de poche. Ce succès absolu, totalement inespéré, fût créateur de richesses en Europe. Il a permis à des sociétés comme Ericsson de multiplier son chiffre d’affaire…par 4000 ; le reste du monde n’y croyant pas au début, les industriels européens avaient une longueur d’avance.
Comment, contre toute attente, est née cette norme ? Comment l’Europe, derrière une rare unité, a-t-elle pu être à la pointe mondiale de l’innovation numérique ? Pourquoi le GSM est-il considéré comme l’un des meilleurs exemples, tout secteur confondu, de coopération européenne technique et politique réussie ?
Comment l’Europe a-t-elle réussi à surpasser des protectionnismes industriels nationaux pour migrer vers une situation de marché unique où tous les industriels étaient sur le même pieds d’égalité ?
Etapes historiques
- 0G : le mobile de voiture réservé à une ultra élite
Durant longtemps, la téléphonie mobile a été le parent pauvre des télécommunications. Dans plusieurs pays d’Europe, existaient depuis les années 1960 différents systèmes de radiotéléphonie de voiture, dit 0G. Chaque pays avait son système, incompatible avec les autres, et fabriqué par l’industriel national. Son prix était prohibitif et cher à l’usage: il était réservé à une petite élite fortunée, et ne pouvait qu’admettre un petit nombre d’utilisateurs de par sa limitation technique.
- 1G : le mobile sort timidement de la voiture, et premier système entre les pays nordiques
Les techniques radio évoluant, le concept de téléphonie mobile
cellulaire (dit 1G pour première génération analogique) fit son
apparition début des années 1980. L’idée était d’installer un plus grand
nombre d’antennes (comme actuellement avec le GSM) et de permettre à
une communication de se poursuivre d’une antenne à l’autre ; chaque
antenne couvrant une zone de taille réduite.
Au début des années 1980 deux systèmes cellulaires existaient dans le
monde, un d’origine américaine et l’autre nordique. Les pays nordiques,
en avance ont ouvert le bal avec un système commun analogique, pouvant
fonctionner en roaming sur leurs quatre pays et cela dès 1981! De
conception et fabrication locale, il permettait déjà à un plus grand
nombre de personnes de communiquer. Mais là encore, les limitations
techniques du système ne permettaient pas un nombre massif
d’utilisateurs, et une saturation était prévue au bout de 5 à 10 ans.
- Europe : pourquoi pas un système unique paneuropéen ?
Les Pays-Bas et les pays Scandinaves, au sein de la CEPT (Conférence Européenne des Postes et Télécommunications) ont émis l’idée vers 1980, que l’Europe se dote d’un système unique paneuropéen pour en finir avec des systèmes incompatibles entre pays. Pour cela, a été créé un groupe, appelé “Groupe Spécial Mobile” (GSM) chargé de lister les nombreux et difficiles sujets techniques et non techniques à étudier pour atteindre le but recherché et de proposer une norme ; le terme “Spécial” indiquait que ce groupe était établi en dehors de la structure traditionnelle de la CEPT compte tenu de l’étendue de la tâche, très ambitieuse et couvrant tous les domaines des réseaux et services de télécommunications.
- 2G pour 2ème génération dit numérique
Il est rapidement apparu que pour obtenir un consensus, il faudrait inventer quelque chose de nouveau, et donc le choix s’est porté sur un système numérique, ouvert (non brevetée dans la plus grande mesure possible) et cellulaire : les bases de la 2G furent posées.
De 1983 et jusqu’à 1987, la France et l’Allemagne d’abord, rejoints par l’Italie et ensuite l’Angleterre, ont travaillé sur la validation de la faisabilité d’un tel système, et ont défini les principes de base technologiques de ce système commun, et ont fait avancer l’idée au niveau politique ; la CEPT ayant décidé que soit réservée la bande des 900 MHz pour le futur système commun.
Toutefois, une bataille féroce eut lieu début 1987, durant laquelle l’initiative GSM faillit mourir : un industriel essaya d’imposer un choix le favorisant, grâce à son influence sur l’establishment politique français et allemand. Un compromis fut trouvé, non sans mal, mettant sur pieds d’égalité tous les fabricants européens.
En septembre 1987, derrière une rare unité, 13 opérateurs de 12 pays signèrent le Memorandum of Understanding (MOU), où ils s’engagèrent à ouvrir commercialement pour 1991 un service basé sur la norme GSM dans leurs pays respectifs.
Et aujourd’hui ?
A ce jour, les activités liées à la téléphonie mobile GSM représentent 4,6% du PIB mondial et un marché de 3,9 trillion US$ (source GSMA 2018), avec deux tiers de la population mondiale équipée.
L’Europe est totalement absente du numérique, sous domination sans partage étasunienne. Le paradoxe, est qu’une initiative d’origine européenne profite désormais aux GAFAM : les smartphones permettant environ 50% des connexions à internet.
Les enseignements de ce succès passé, pourraient-ils s’appliquer à
nouveau dans le vaste secteur tant stratégique du numérique, et dans
d’autres secteurs comme les technologies vertes ?
Concernant le numérique, il est désormais admis qu’il est vital pour les
pays Européens de diminuer notre dépendance économique, mais aussi et
le risque d’exposition de nos données personnelles et d’entreprises aux
yeux indiscrets de notre ami et concurrent commercial étasunien.
Concernant les technologies vertes, le succès du GSM nous enseigne qu’il ne faut pas trop miser d’espoirs sur les politiques, qui ne maîtrisent pas tous les aspects techniques. Quand on constate la difficulté avec laquelle on parvient péniblement à des accords internationaux fixant des objectifs (les COP sur le climat par exemple), comment imaginer réussir à les mettre en pratique de manière souple, coordonnée et efficace dans des économies nationales faussement ouvertes, privilégiant les intérêts économiques locaux à courts termes ?
Pourquoi ne pas créer comme l’a fait le GSM, des groupes de travail
internationaux, entre spécialistes issues des grandes entreprises
nationales, auxquelles on laisse carte blanche, hors des pressions de
profit à court terme, pour travailler sur des solutions avant-gardistes
dans l’intérêt général ?
MARC-ANTOINE DUPUIS, ENV’15
Fils de Philippe Dupuis, co-inventeur du GSM, co-receveur médaille IEEE/RSE 2018 James Clerk Maxwell
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